Chère Catherine Millet,
A toi qui a déclaré "C'est
mon grand problème, je regrette beaucoup de ne pas avoir été violée. Parce que
je pourrais témoigner que du viol on s'en sort"
Moi, je regrette d’avoir été violée, alors, je
veux bien échanger avec toi… Je te donne mes viols, et tout ce qui va
avec :
Je te donne mes tentatives de suicide, mes
mutilations, ma boulimie
Je te donne ce sentiment d’être sale et
souillée qui me colle à la peau
Je te donne ma frustration, ma colère, mon
incompréhension
Je te donne mon isolement, ma peur, ma
détresse,
Je te donne le silence qui m’a étouffée
pendant longtemps parce que j’avais peur de parler, parce que j’avais honte
d’en parler
Je te donne mon incapacité à faire confiance
aux autres, mon incapacité à croire en moi
Je te donne toutes mes années de dépression,
mes insomnies, ma peur du noir et mes cauchemars
Je te donne mes orgasmes, car oui j’en ai,
mais je ne te donne pas n’importe lesquels, je te donne ceux dont je ne veux
pas, dont je ne veux plus car ils apportent avec eux le souvenir boueux de ce
que mon corps a vécu. Voilà, je te donne ces orgasmes-là, et je garde les
autres, les meilleurs, ceux que j’arrive à avoir sans qu’aucun mauvais souvenir
ne les gâche.
Je te donne avec plaisir tout ce temps perdu à
questionner mon passé, revenir en arrière, essayer de me souvenir, revenir sur
les blessures et tenter de les guérir
Je te donne ma plainte classée sans suite, la
douleur qui va avec, la sensation d’injustice et d’incompréhension
Je te donne ma colère et mon dégoût face à tes
discours nauséabonds, ces propos que toi et tes quatre-vingt-dix-neuf amies
vous nous jetez à la figure comme si vous étiez plus fortes, plus capables,
plus futées que moi ou d’autres pour vous en sortir.
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