samedi 29 février 2020

Samedi 29 février 2020


Pendant que les coupables sont présumés innocents,
Les victimes sont présumées coupables.
Coupables de parler.

Il faudrait que nous nous taisions, recroquevillées dans notre trou, loin de leur regard,
Pour qu’ils soient satisfaits.

Il faudrait que nous attendions bien sagement une condamnation de la justice,
Puis qu’on nous demande ensuite le silence à nouveau…

Surtout, ne pas faire de vagues
Ne pas choquer
Ne pas faire d’esclandre,
Ne pas crier, ni hurler sur tous les toits.
Ici c’est le domaine privé, c’est choquant, on ne veut pas savoir…

Ne mélangeons pas tout
Les torchons et les serviettes,
Le privé et le public
« Le sexe, c’est de l’ordre du privé… »
Mais le viol, ce n’est PAS du sexe !
Et ça vous concerne tous, au passage...

Tais-toi, tant que tu n’as pas porté plainte,
Et tais-toi encore en attendant le verdict,
Et puis tais-toi à nouveau parce qu’il a purgé sa peine,
Parce qu’il a droit à une nouvelle chance, une nouvelle vie,
Droit à l’oubli.

Mais nous, jamais nous n’oublions…

Refusons d’être la victime sage et parfaite qui attend dans un coin qu’on l’appelle.
Refusons de nous taire jusqu’à ce que la justice nous donne enfin la parole
Refusons d’attendre qu’ils s’amusent à peser le pour et le contre,
Pour savoir si oui, il pourrait avoir fait ce dont nous l’accusons.

En nous-mêmes, nous l’avons déjà jugé :
Coupable.
Refusons qu’ils le fassent à notre place.


mercredi 26 février 2020

Mercredi 26 février 2020


Le temps est long et lourd quand on est une victime.

Il y a d’abord les années de silence de l’abuseur face à nos questionnements.
Le trou profond dans lequel ce silence nous plonge.

Et ensuite, quand on se décide à aller plus loin, à porter plainte, il y a le silence et le temps de la justice…
Ce temps qui passe lentement, comme un nouveau cauchemar éveillé.

L’audition réveille tous les démons, et on est seul, livré à soi-même, dans ce temps-là encore.
Si aucune branche ne nous permet de nous accrocher, il faut être solide pour traverser ça.
Ce temps, comme un entre-deux dans notre vie déjà compliqué.
Ce silence, qui nous replonge dans la douleur.

Si l’affaire est ancienne, ils diront qu’ils ont sur le feu des affaires plus récentes…
Mais dans les journaux, des affaires anciennes sont traitées tout à coup dans l’urgence, elles… Parce qu’il y est question de personnes plus connues, et que la justice doit rendre des comptes aux médias…

Alors on est là, on attend, on attend et on attend encore.

Parce que malheureusement, il ne suffit pas de parler pour que le coupable soit puni.
Il faut encore une enquête, et elle avancera à son propre rythme… Un rythme qui ne correspond pas à celui de la victime.
Tant que l’accusé n’a pas été interrogé, tout repose sur les épaules fragiles de la victime.

Et on va jusqu’à se demander : Suis-je une assez bonne victime ? Ils disent qu’ils me croient, mais me croient-ils vraiment ?

Et ce stress, qui ronge le ventre… J’ai parlé, mais il est encore libre ? Combien de temps encore avant qu’il soit puni, lui, et plus moi ?

Parce que tout ce temps de silence de la justice, ses questionnements et ses doutes, nous enferment encore plus, nous renvoient dans la cage. A nouveau.

Et quand est-ce que je serai libre, finalement ?
Il faut passer tout ça, et encore d’autres étapes… Et ensuite ?

Qu’est-ce qui nous fait libre ? La justice, ou la guérison du trauma ?
Et la justice, ce n’est rien d’autre que de replonger dans le trauma à cœur ouvert, à corps perdu… A quoi m’ont donc servi ces mois et ces années de travail, s’il me faut à nouveau retomber dedans, si je faiblis au premier interrogatoire ?
Pourquoi je m’inflige ça ? Quelle audace de m’être crue si forte…

Aucun regret, jamais… Mais c’est épuisant et personne ne nous prépare à cela.


samedi 22 février 2020

Samedi 22 février 2020


Une victime a parlé, ouvert la voie, puis une autre et encore une autre… La machine est lancée.

Les victimes se relèvent, et les agresseurs tremblent.
Alors qu’ils ont tout fait pour nous séparer du monde, nous isoler afin que nous gardions le silence…
Quand d’autres ont préféré se voiler la face et ne rien dire…

Mais nous ne nous tairons plus.

Ils seront désormais obligés de nous entendre et de nous voir enfin telles que nous sommes : des personnes fortes, qui n’ont plus l’intention de laisser faire.

Le courage d'une seule victime donne le courage à toutes les autres.
Une seule suffit pour donner de la force aux suivantes.

Voilà comment on finit par se sentir de moins en moins seul et de plus en plus soutenu, dans un monde où le silence est la règle.

Cette solidarité, qui nous relie les uns aux autres dans le malheur, est un exemple et une chance.


jeudi 20 février 2020

Jeudi 20 février 2020


Ce qui s’est passé ces derniers jours m’a beaucoup remuée.
Mon témoignage, associé à d’autres, a rendu les choses bien plus que réelles.

Tout s’est additionné.
La souffrance est revenue,
La mémoire s’est réveillée,
Et avec elles, le dégoût, la nausée, la colère.

Ils disent que je suis courageuse, mais je me sens petite, si petite.
La vague voudrait m’avaler à nouveau.
Cette semaine j’ai eu le sentiment de couler, complètement.

Tout le monde s’est inquiété pour moi, et j’ai dit que tout allait bien.
Mais je n’en suis plus si sûre, maintenant.

Je regarde le mur s’effondrer brique par brique, et je ne peux rien faire.
La vérité trace son chemin, c’est ce que je voulais.

Pourtant il me reste en bouche ce goût amer.

Parler ne suffit pas à nettoyer les blessures.
Parler ranime le pus et la fièvre.

Il faut en passer par là, j’imagine, comme traverser le feu…
Il faut savoir rester fort tout au long du chemin.

Pour le moment, je suis surtout épuisée.
La douleur qui se réveille me fatigue,
Et ce n’est que le début d’une longue route.

Que la peur ait peur de moi,
Que la souffrance souffre de moi,
Que la nausée soit nauséeuse de moi,
Que la honte ait honte d’elle-même :
Je ne laisserai pas le passé gagner.



samedi 8 février 2020

Samedi 08 février 2020


L’autre jour un ami m’a dit « Ce qui s’est passé, ça ne change pas mon regard sur toi, ça change mon regard sur lui ».

Cette phrase m’a fait du bien.

Ça ne m’empêche pas de me sentir toujours sale et honteuse, mais cette phrase me fait beaucoup de bien.

Je m’y accroche.
Comme je m’accroche à ceux qui, ces jours-ci, se sont montrés à l’écoute, compatissants et prévenants.

Je ne sais pas pourquoi il y avait en moi cette peur de ne recevoir que des critiques et des baffes, peur intime et intense qu’on ne me croit pas, et qu’on me renvoie en miroir toute la saleté que je vois sur moi.

Répéter, répéter encore l’histoire, jusqu’au dégoût.
Incapable de manger depuis quelques jours.

Juste cette envie de vomir permanente.
Vomir les faits, vomir les mots, vomir la tristesse et la peur.

Et puis ne pas savoir quoi faire de ce corps, redevenu lourd de ce qu’il a subi, parce que parler c’est revivre intégralement les scènes.

Journées difficiles, entre repos forcé et stress intense… Mais je sens que je peux y arriver.
Après tout, c’est vrai, ça ne changera pas leur regard sur moi, mais ça changera leur regard sur lui…