Il y en a qui collectionnent les timbres.
Elle, elle collectionne les morceaux d’elle-même.
Elle met bout à bout tout ce qu’elle récolte,
des informations précieuses à son sujet. Choses oubliées, souvenirs flétris,
odeurs anciennes, photos décolorées.
Elle consigne soigneusement ce dont elle se
souvient.
Peu à peu, elle rassemble, organise, étudie.
Elle n’a pas de chronologie sûre mais il y a
des marques temporelles, des événements qui s’enchaînent entre eux d’une
manière logique. Alors elle essaie, avec le peu qu’il lui reste, d’établir un
ordre.
Et puis, il y a les trous. Comment remplir les
trous, par quoi les remplacer, va-t-elle savoir un jour ce qu’ils
cachent ?
Elle se sent défaillante. Incomplète.
Il arrive qu’on lui parle de qui elle était
avant, de ce qu’elle faisait avant, de choses dont elle ne se souvient pas. En
secret, elle prend note, pour garder des traces.
Au fil du temps, elle a fait couler des tonnes
et des tonnes d’encre : toute sa vie, en tout cas ce dont elle se
souvient.
Elle écrit sur le présent, de la même manière.
Elle note frénétiquement tout ce qu’elle ne veut pas oublier. Tout ce dont il
est urgent de se souvenir.
Parce qu’on ne sait jamais. Et si la mémoire
disparaissait encore ?
Il y a eu dans sa vie d’adulte -elle le sait,
elle le voit maintenant- des périodes de flottement, de transition, au cours
desquelles elle semblait se renouveler et oublier l’ancienne version
d’elle-même. Comme un serpent pendant la mue.
Elle n’aime pas ces cassures dans son rythme,
ces oublis, ces pertes d’habitudes. C’est pour ça qu’elle note tout, pour
pouvoir y revenir au cas où…
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