Quand
on raconte, on raconte les gestes, peut-être les endroits du corps.
Mais
surtout, on dit « Ça ».
Quand
on raconte, on dit :
« J’ai
attendu que Ça se termine »
« Et
puis Ça s’est terminé »
« J’ai
l’impression que Ça a duré longtemps »
On
ne dit jamais le mot.
Il
se laisse deviner.
Parfois,
le mot sort de la bouche des autres.
« Viol ».
« Agression sexuelle ».
Oui,
certainement, sans doute… Mais de notre bouche, le mot sort rarement.
Même
quand on sait, d’après la définition légale.
Peut-être
parce que Viol ou Agression sexuelle, ça ne raconte rien. C’est froid,
chirurgical, ça ne dit pas assez ce qui s’est passé réellement.
Nous,
on a ressenti des gestes, des mouvements, qui nous ont marqués, traumatisés.
Qui
restent écrits sur notre corps, dans notre peau. Gravés dans notre tête.
On
raconte les gestes, parce que ce sont eux qui décrivent le mieux.
On
dit « Ça », parce qu’il n’y a pas d’autre mot, pas de définition
possible finalement.
Ça
se traduit par viol, ou agression sexuelle, peut-être.
Mais
Ça, c’est surtout la violence à l’état pur, la pénétration de l’intime.
Quelque
chose qu’on n’a pas voulu, qu’on a refusé, et qui a forcé le passage, qui s’est
imposé à nous.
Après
Ça, il ne reste qu’un esprit éclaté en morceaux, un corps abandonné de
lui-même, une explosion de l’être.
Alors
quand on raconte, on ne dit pas vraiment les mots, parce qu’il n’y en a pas
pour décrire Ça.
C’est
une affaire de sensations avant tout, bien plus que de mots.
Les
mots que les autres utilisent pour en parler généralement, ou de manière
légale, signifient peu de choses et ne rendront jamais compte de que c’est
réellement que de vivre Ça.