J’ai du mal avec le fait de raconter, aller
jusque dans les détails, dire « ceci est ma vie »…
Ceux qui écoutent mes déclarations les reçoivent
sans doute comme des coups de poings, mais pour moi c’est juste MA vie, MA
réalité.
En face, celui à qui je m’adresse aura le
souffle coupé pendant peut-être cinq minutes, puis il retournera à sa
normalité, sa vie à lui.
Moi, le souffle coupé, c’est tous les jours,
tout le temps, dès qu’un souvenir me revient… et bien plus que ça encore.
Je choisis les mots avec soin pour que mon
interlocuteur comprenne bien les gestes, les sensations, mes sentiments à moi
et la violence, surtout la violence.
Je choisis mes mots et je m’entends parler.
Au fur et à mesure le film repasse dans ma
tête, et l’horreur se fait plus précise.
Je rêverais d’être à leur place, à la place de
ces gens qui ne font que recevoir nos confidences, et puis qui passent à autre
chose…
Eux aussi, ils ont les images ?
Mais est-ce que ça leur fait mal comme à moi ?
Est-ce qu’ils sentent la douleur ?
Sans doute, mais jamais assez, ils ne la
sentent jamais assez par rapport à ce que nous vivons…
En un sens, je me sens chanceuse : je n’ai
pas, comme eux, à écouter les mêmes atrocités, des histoires similaires à
longueur de journée…
Je n’ai que mon histoire, et même si c’est
dur, je m’y suis habituée… J’ai grandi avec l’horreur, on a fait du chemin
ensemble, elle fait partie de moi.
Je crois que ceux de l’extérieur, ceux dont c’est
le travail, ne s’habitueront peut-être jamais.
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